Interview du fondateur du CDLV : Laurent Knepfler

D’où vous est venue l’idée de ce Challenge  et quelles ont été les difficultés rencontrées ?

L’idée m’est venue d’une interpellation par un étudiant. En 1998, j’étais chef du département et je parlais à un groupe d’étudiants. Besançon avait repris une ancienne idée de Strasbourg et avait relancé le Challenge de la Pub et j’informais donc mes étudiants de ce qu’il se passait. Un étudiant m’a alors interpellé en me disant « Monsieur, mais il n’y en a que pour les Pub ! Pourquoi il n’y a rien pour nous ? ». Plus tard, j’ai réfléchi et je me suis demandé ce qu’on pourrait bien proposer comme concours à des étudiants en doc. Alors effectivement, des concours sur les pratiques documentaires, ce n’était pas passionnant, je voulais quelque chose de différent.

Il y avait depuis quelques années chez nous un jeune maître de conférences Taoufiq Dkaki, spécialisé en veille, en data-mining et en extraction d’informations. Un matin, je lui ai dit « Tao, et si on faisait un challenge de la veille sur le modèle du Challenge de la Pub ? ». Et il a répondu « Oui, ça c’est une bonne idée ! ».

Je suis allé trouver le directeur qui m’a dit « Si ça ne me coûte rien, vas-y, lances-toi ». Nous avons donc commencé à monter l’idée d’un challenge. J’avais plusieurs directions obligatoires. Je voulais que tous les étudiants puissent être impliqués. Il fallait alors impérativement que chaque IUT participant fasse travailler tous ses étudiants en équipe. Je voulais également que chaque IUT procède à une présélection et désigne une équipe finaliste. Et pour finir, afin d’éviter des dérives que j’avais observées au Challenge de la Pub, je voulais que le jury puisse prendre connaissance et même noter les travaux des finalistes avant la finale. Ça me semble aussi judicieux puisque le travail de veille consiste à rendre des observations, des conclusions, cela passe donc obligatoirement par un dossier. La présentation orale serait là cerise sur le gâteau.

J’ai réservé, doutant de rien, le grand amphi de l’ENA. Le problème est que je n’avais toujours pas de sponsor. Et il me semble que c’est grâce aux relations de Tao que j’ai contacté France Télécom. J’ai eu la responsable des relations avec les universités au téléphone. Elle m’a dit : « Votre idée m’intéresse, venez nous voir ». Nous sommes ensuite allé à Paris. J’ai donc présenté le concept en insistant sur le fait que le sujet devait être une vraie question, qui aurait une utilité pour l’entreprise sponsor. Je voulais que les étudiants se rendent compte de l’intérêt et de l’importance de leur travail. On a par la suite eu un partenariat avec France Télécom, et nous avons donc eu le droit à une subvention, car un challenge demande d’engager des frais, et surtout un sujet de veille.

Le premier sujet était « Accès mobile à Internet : procédé d’accès, acteurs sur le marché, perspectives d’évolution ». À l’époque, j’avais demandé au directeur l’autorisation des étudiants en InfoCom de rester dans les salles informatiques jusqu’à des heures avancées de la nuit car tout le monde n’avait pas des téléphones ou des ordinateurs (NDLR : il faut se replacer en 2000). Je pense que les étudiants n’avaient pas imaginé qu’ils travailleraient autant.

Les étudiants de Strasbourg avaient conclu plusieurs choses quant à leur étude sur France Télécom. Ils ont notamment souligné le fait qu’un opérateur de téléphonie mobile Japonais s’intéressait de très près à un opérateur de téléphonie mobile britannique, Orange. Or, si cette fusion se faisait, ça serait puissant et dangereux pour France Télécom. Par conséquent, ils ont recommandé à France Télécom de mettre en place une stratégie pour contrer ce rapprochement. Quelques mois après, j’ai lu dans les journaux que France Télécom rachetait Orange. Cette histoire illustre bien le niveau de pertinence et le fait que les étudiants appliquent correctement ce qu’ils ont appris.

Selon vous, qu’apporte ce challenge aux étudiants de l’option Information Numérique ?

Je me rappelle avoir vu une fois des étudiants découvrir un sujet qui était assez compliqué à cerner. Ils ne comprenaient quasiment aucun mot du sujet. Le bénéfice pour eux est vraiment d’avoir à effectuer un travail de professionnel et d’être plongés dans quelque chose de concret.

Ils gagnent quelques petits prix (rire), mais au-delà de ça, ils gagnent une formidable expérience. Les étudiants travaillent comme ils n’auraient jamais penser être capable de travailler. Ils bossent ensemble, ils s’engueulent, ils se remettent au boulot, ils dorment très peu mais à la fin, il y a la satisfaction d’avoir fait un réel travail de professionnel.

Si vous pouviez donner des conseils aux futurs participants, qu’est-ce que ce serait ?

Je pense que l’important est de la prendre comme un défi collectif. Une chose est certaine, si les étudiants y vont en “fonctionnaire” et pensent travailler de 8h à 17h, ils ont perdu avant même d’avoir commencé. Dès la publication du sujet, l’idéal est de se regrouper chez l’un des membres de l’équipe, s’installer dans un appartement,  et ne plus en sortir avant le jour de la compétition. À la différence du début du Challenge, aujourd’hui tout le monde a accès à Internet, ce qui est beaucoup plus pratique. Il faut travailler et donner le meilleur de soi-même, ne pas lever le nez avant d’avoir rendu le dossier.

Il y aura également des moments de regroupements où les enseignants proposeront aux équipes de poser des questions, il faut absolument en profiter. Le risque est de s’enfermer dans une voie sans issue, il est donc important de revoir de temps en temps certains enseignants, certains professionnels, pour évaluer ce qu’on fait. Souvent, lorsque les étudiants venaient me voir, je leur demandais toujours si ce qu’ils étaient en train de faire avait oui ou non un réel rapport avec la question. Sur Internet, on part très vite sur des fausses pistes, il faut se méfier. Je pense qu’il ne faut pas compter son temps ni son énergie, mais il faut tout de même penser à prendre du recul et se demander où est-ce qu’on va. Et surtout, lorsqu’on a des questions, ne pas hésitez à les poser. Il faut chercher des gens du secteur, des experts, pour mieux comprendre la question de veille et l’intérêt stratégique pour l’entreprise. Il faut savoir que les entreprises font attention aux questions qu’elles posent car elles ne veulent pas que leurs concurrents sachent à quel secteur ils s’intéressent. Ensuite, soit on peut garder les informations recueillies pour soi, soit on peut le partager avec toute la promo, c’est à vous d’en décider.

Pensez-vous que le Challenge de la veille a évolué depuis sa création en 2000 ?

Evidemment !! Je rigolais bien au début des challenges car les étudiants ne comprenaient jamais la question, et ça je pense que ça n’a pas beaucoup changé. Mais je pense  également que les étudiants de la formation ont évolué, les sujets aussi et les moyens nécessaires pour recueillir les informations ont également changés.

Serez-vous présent le jeudi 30 janvier 2020 pour la grande finale à Strasbourg ?

Oui, j’ai été invité. Ça me fera plaisir de revoir les collègues et surtout de voir que le Challenge de la Veille continue très bien sans moi.